Témoignages

Témoignages

Les témoignages de deux acignolais ayant vécu de remarquables expériences dans le cadre du jumelage avec Seica Mare.


Francine Phelippot 

(présidente de l’Association Seica Mare-Acigné d’octobre 1994 à avril 2008)

 

Vers l’inconnu

Depuis 1989, la ville d’Acigné a effectué de nombreux échanges avec sa commune jumelle, Seica Mare. Parmi tous les voyages auxquels nous avons participé, souvent de façon différente et qui nous ont laissé de très bons souvenirs, il en est un qui s’est imprimé en nous de manière indélébile, c’est le premier.

C’était aux vacances de Pâques 1991. Avec l’association Seica Mare-Acigné, créée un an plus tôt, nous avions organisé un convoi humanitaire composé de deux petits camions emportant surtout du matériel scolaire et médical.

Nous étions partis à cinq personnes : quatre conducteurs (Roland, Henri, Edouard et moi) et notre fils Matthieu de onze ans. Pour nous c’était la grande aventure. La géographie de l’Europe ne nous était pas encore très familière : situer la Roumanie et découvrir les pays traversés pour y parvenir ne semblait pas aussi évident que cela. Il fallait aussi penser au change, avec quelle monnaie nous pouvions voyager, quelle somme prévoir, où trouver facilement des restaurants ….. Quoi qu’il en soit, pour gagner du temps, nous avions décidé d’emporter toute la nourriture nécessaire pour la durée du voyage, sans oublier nos packs d’eau qui s’avéreront indispensables pour notre fils surtout (je suspectais l’eau des puits de ne pas être très potable et elle était totalement absente de l’unique  magasin général de Seica Mare). Pour faire une pause, le soir nous mangerions au restaurant. Quant au repos nocturne, des assoupissements dans la cabine même, des camions, nous suffiraient ; nous étions encore jeunes et pleins d’énergie et ne souhaitions pas laisser notre cargaison sans surveillance.

Nous avions glané quelques infos sur les formalités à accomplir auprès de  trois Acignolais partis, après la Révolution, en 1990, pour rencontrer les habitants de Seica Mare que la commune d’Acigné parrainait. On nous avait dit que jusqu’à la frontière austro-hongroise, il n’y avait pas de problème mais qu’après, c’était l’incertitude. Pour éviter de se trouver séparés pour une raison ou une autre, chaque camion avait été équipé d’une CB ; les téléphones portables n’étaient pas répandus comme à l’heure actuelle. Au moindre incident, nous nous tenions informés mutuellement. Par contre, suite à un contrôle de la police française, il fallait  démonter puis  remonter de temps en temps, notre outil de communication, quand nous suspections un autre contrôle, aux frontières par exemple.

Le voyage ainsi préparé, nous sommes partis très joyeux mais avec une petite appréhension tout de même pour la traversée des pays de l’Est. Nous pensions avoir tout prévu ….sauf la météo. Nous avons connu un froid intense avec parfois des chutes de neige. Nos pique-niques étaient souvent écourtés : le froid nous glaçait les os et, avec le vent, les assiettes et les gobelets en plastique s’envolaient. Heureusement, nous pouvions prélever quelques couvertures kaki de l’armée, parmi la marchandise emportée. Nous en mettions sur les bancs, sur notre dos, sur nos jambes ….C’était un vrai froid sibérien. Avec l’optimisme qui nous caractérisait, nous n’avions pas prévu de vrais vêtements d’hiver.

Quel choc pour moi en arrivant à la frontière hongroise ! Tous ces grillages, ces miradors, ces soldats en capote marron kaki qui faisaient des allées et venues avec leurs bergers allemands et des kalachnikovs le long de la frontière et me rappelaient des images de nos deux guerres mondiales. Et cette attente ! Un vieux banc matérialisant la frontière paraissait insignifiant et pourtant nous sommes restés longtemps sans pouvoir le franchir. Des années auront été nécessaires pour faire accélérer les démarches aux frontières où nous étions tributaires du bon vouloir des douaniers et où les bakchichs étaient obligatoires. D’ailleurs, à cette époque, ils portaient tous une boîte en bois en bandoulière pour les déposer ou peut-être les cacher. L’attente s’avérera moins longue cependant que lors de nos prochains voyages où nous avons dû parfois patienter plusieurs heures voire seize heures en 1995. Lors du premier convoi, Roland se souvient qu’à la frontière roumano – hongroise, un douanier hongrois nous avait   dit : « après la frontière, c’est l’inconnu ».

Pour voyager plus tranquillement, nous avions pensé qu’il valait mieux traverser la Roumanie de nuit. Quelle mauvaise idée ! Vers quatre heures du matin, nous avons aperçu un camion dans un ravin. Quelques personnes éclairées par une faible lumière semblaient l’avoir squatté. Notre convoi a  poursuivi sa route souvent ralentie par des troupeaux de moutons ou des charrettes non éclairées (à cause du marché noir, paraît-il) et qui occupaient toute la route. Enfin, après quelques heures d’angoisse, nous sommes arrivés à Sibiu puis à Seica Mare où partout l’accueil a été princier. Nous avons dû boire entre autres de la tsuica au petit déjeuner car nous étions intimidés et émus par tant de sollicitude. Nous n’osions pas refuser ce qu’on nous offrait si gentiment. A Seica Mare, pour libérer le professeur de français qui devait nous accueillir, des élèves avaient eu un jour de congé. La fin de journée avait été aussi alcoolisée que le début puisque pour Roland qui était accueilli chez le professeur de français, elle s’était achevée dans la cave, parmi les tonneaux de petit vin de pays, en compagnie du policier municipal. D’ailleurs, je me souviens  qu’il  se déplaçait à vélo et qu’à l’occasion, il faisait de l’autostop pour se rendre dans les villages rattachés à Seica Mare. Comme à cette époque, il n’y avait que trois voitures dans la commune, il m’est arrivé d’emmener les policiers en stop à Buia.

Je pense que le jour de notre arrivée à Seica Mare, on a contribué à faire évoluer la place de la femme dans la société roumaine. En effet, nous étions invités pour le déjeuner chez Aurel et Constanta, qui étaient venus à Acigné avec un groupe de dix personnes en septembre 1990. La plupart d’entre eux étaient invités à ce déjeuner. Nous nous sommes installés autour de la table. Nous devions être quinze et il n’y avait que quatorze couverts. La maîtresse de maison n’était pas assise. Dans ma tête, je comptais et recomptais les couverts et les convives, il manquait bien  une assiette. J’étais mal à l’aise en me disant que la place de mon fiston n’avait pas été prévue. Mais non, ce n’était pas cela, on nous a expliqué qu’en Roumanie, le rôle de l’hôtesse était de préparer les plats et d’être entièrement à la disposition des invités. Nous, les Français, nous avons tellement insisté que Constanta a fini par ajouter un couvert pour elle. Depuis ce jour, en présence des Français tout au moins, nous avons le plaisir de partager nos repas avec la maîtresse de maison.

Depuis 1991, il y a eu de très nombreuses relations avec nos amis roumains  mais c’est ce tout  premier jour passé dans ce pays qui reste présent à ma mémoire.

Edouard et Francine avec leurs  nouveaux amis … 


Roland Gimenez

Les souvenirs d’un Acignolais

Parler de mon expérience dans l’humanitaire est simple et compliqué. Simple car j’en ai des souvenirs plein la tête, compliqué car ils ne sont pas tous bons.

Je commencerai donc par les mauvais. Le mauvais, c’est le passage des frontières, surtout la dernière, celle qui ouvre les portes de la Roumanie, un pays où je me suis retrouvé avec mes souvenirs d’enfance.

Quand je parle de mon enfance, ce n’est en aucun cas pour le lieu mais pour la façon de vivre. J’ai retrouvé les toilettes dans le jardin, le troc, la chaleur des gens, le fait de se sentir comme en famille, les mille et une choses de la vie qui font que je me suis cru revenu 30 ans en arrière.

Alors que le cœur plein d’espoir, vous ramenez du matériel médical et tant d’autres choses, le mauvais, ce sont ces frontières où l’on vous regarde comme un voleur ou un contrebandier, où l’on doute de tout et où l’on vous confisque vos papiers pendant plusieurs heures et que le douanier, le dernier douanier ne vous ouvre pas la porte de son pays. Je le comprends ! Il fait son travail ! Mais moi, je ne voyais que le bout du voyage et l’espoir que le peu de matériel que nous ramenions ferait du bien. Sa méfiance m’était insupportable.

Le stress aussi, le jour où Édouard, au volant d’un semi, déboîte et se met à doubler la longue file des camions qui attendaient à la frontière. Une file d’environ 1,5 à 2 km avec ses chauffeurs désœuvrés et énervés qui se saisissaient de grosses pierres pour les jeter sur le camion, et qui à la vue du drapeau de la Croix-Rouge nous ont laissé passer (merci Messieurs les chauffeurs routiers !, Merci la Croix-Rouge !).

Les bons souvenirs sont beaucoup plus nombreux. Un accueil digne du retour de l’enfant prodigue.

Les festivités en notre honneur, une chaleur humaine palpable, l’impression de nous retrouver en famille. Nous avons été reçus comme des princes. La chaleur de cet accueil me fait encore chaud au cœur et me laisse rêveur.

Malgré de très longues heures de conduite et une fatigue accumulée par la privation de sommeil, ce n’est que très tard dans la nuit, après moult libations, accolades, discussions que nous avons pu nous reposer. Dès le lendemain, nous déchargions la marchandise, après le passage à la douane.

Imaginez notre joie lorsque nous avons vu que les lits d’hôpitaux que nous ramenions étaient d’une qualité très supérieure à ceux que les docteurs nous avaient montré, et qui pourtant, étaient les meilleurs de l’hôpital.

Le bonheur de voir un homme heureux de pouvoir se déplacer dans son nouveau fauteuil roulant  ! Pour moi, c’est surtout cela et bien d’autres choses qui font que j’ai plus reçu que donné.

La chaleur du groupe de bénévoles, qui s’est très vite soudé et l’est resté, fait partie des cadeaux de ces voyages.

Et enfin les sorties à Paltinis qui représentaient « les soirées vacances » dans le voyage (avec le stress de savoir que la nuit où j’étais sorti pour aller aux toilettes, un ours cherchait sa pâture autour de la maison ! Il avait vraiment fait de belles empreintes !).

Voilà ! La Roumanie m’a donné plus que je n’ai donné mais je crois être définitivement fâché avec les frontières !

 

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